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L’arnaque des vinyles d’Utopia de Travis Scott

Publié en 1516 par Thomas Moore, “Utopia” est un livre décrivant une société en autarcie se voulant parfaite mais impossible. De cet ouvrage, le mot utopie va rentrer dans le langage courant et nourrir une philosophie prônant que l’argent et la propriété privée rendent impossible une société juste. Quelle ironie pour Travis Scott d’utiliser cette idéologie 5 siècles plus tard pour promouvoir l’album rap le plus vendu de 2023 et une stratégie marketing où l’argent passe avant même la considération de son propre public.


affiche

La pression sur les épaules de Travis Scott était immense après 5 ans d’absence. 5 années marquées notamment par une pandémie mondiale, la tragédie de son festival Astroworld causant la mort de 10 personnes ou sa séparation avec l’influenceuse Kylie Jenner.


Est-ce que le contenu musical d’Utopia est à la hauteur des attentes ? Chacun apportera sa réponse.


L’album semble convaincre une partie importante du grand public, agréablement surpris par des sonorités à la Yeezus et une curation de featurings des plus gros noms de l’industrie. Certains auront plus de réserves face à ce mastodonte malgré une production réussie. Se prendre pour Kanye West ne veut pas dire que l’on a son talent et presque rien ne ressort de ces 5 lourdes années d’absence, ni dans le discours, ni dans un concept d’utopie sous-exploité.


vinyle

C’est plutôt la dystopie qui vous attend face à la stratégie commerciale du rappeur texan. Avant même d’entendre un extrait de l’album, un shop est ouvert proposant un nombre d’items hallucinant dont 5 versions vinyles au prix de 50$. Nous ferons l’impasse sur le nombre de packs tellement délirants qu’ils ont dû les numéroter. Des appellations telles que “A2” ou “B4”, plus proche du menu d’un restaurant asiatique, que d’un shop d’artiste qui se respecte.


Des versions vinyles produites plusieurs mois avant la sortie et qui ne contiennent donc même pas la version finale de l’album.


Le titre “Meltdown” avec Drake, ayant été finalisé la veille de la sortie pour éviter les leaks, n’est par exemple pas présent sur cette version vinyle.


Quelle ne fut pas la surprise des fans ayant eu l’idée saugrenue de dépenser 50$ dans un vinyle lors de l’annonce, de voir apparaître quelques jours plus tard une série de codes promo. Avec des réductions de 90% amenant les 5 versions de ce double disque, au prix dérisoire de 5 dollars. Des codes disponibles quelques heures, dont la source n’est jamais très claire, mais qui enflamment rapidement les réseaux. Logiquement les commandes pleuvent, permettant à Travis de battre 2 semaines d'affilée le record de vinyles rap vendus en 1 semaine aux US avec 55 puis 93 mille commandes.


article

Une idée brillante sur le papier pour cette machine marketing aux budgets colossaux. Plutôt que d’investir cet argent dans des publicités, ils l’investissent dans ces vinyles et laissent la magie des réseaux sociaux leur faire une publicité “gratuite”. L’objectif évident derrière ces vinyles était de booster les ventes pour atteindre le plus vite possible 1 million de copies. Des ventes comptabilisées uniquement sur le sol américain alors que le code promo était lui disponible à l’international. Pour maximiser ses chances d’exploser les chiffres de vente, le vinyle était vendu uniquement sur le shop de Travis dans les semaines suivant la sortie.


Une pratique appelée “D2C” (direct to consumer) de plus en plus fréquente et qui vient fragiliser les disquaires indépendants.


Les commandes affluent donc, les scores sont cassés, Travis atteint le million de ventes aux US. L’objectif est atteint, les codes promos disparaissent. Prochaine étape : assumer et honorer les commandes ? Pas vraiment.


Oubliez la mention “Vinyle livré dans la semaine de sortie”, vu le nombre de commandes, l’équipe de son label Cactus Jack est dans l’incapacité de suivre. Ils honorent en priorité les commandes américaines avec de nombreuses erreurs dans la gestion des colis. C’est fin octobre, après des semaines d'attente, que l’épopée prend fin. La majorité des commandes à l’étranger sont annulées, utilisant toujours le même prétexte, comme vous êtes nombreux à l’avoir témoigné sur ce sondage :


sondage

En effet, une fois la promo passée et les gros chiffres de ventes relayés par tous les “médias”, plus intéressés par les statistiques ou les décès d’artistes que la qualité de la musique, il est bien plus facile de simplement tout annuler. Si l’absence de moralité de cette opération ne fait aucun doute, cette annulation pose des questions de légalité.


Une pratique qui ressemble à une vente à perte, illégale en France depuis 1963, mais pouvant être tolérée aux US. 


En regardant de plus près les processus de certification de la RIAA (équivalent de la SNEP aux Etats-Unis), on voit que Travis joue avec la ligne. Une règle en particulier dans les conditions interpelle : “Pour être certifiées, les ventes de l'album doivent être a) à une valeur de "gros" minimum de 2 $ ou b) à une valeur de détail suggérée de minimum 6 $”


RIAA

Le code promo à 5$ n’est donc en théorie pas comptabilisé, sauf si c’est la précédente valeur de 50$ qui fait foi. Est-ce que Travis à tout risqué à 1$ prêt ? Probablement pas. Alors, est-ce qu’ils ont réussi à utiliser la valeur de “gros” de 2$ ? Notre connaissance de la législation s’arrête ici. A la vue des records annoncés et d’autres artistes ayant repris cette stratégie à 5$, ils ont probablement réussi à compter ses vinyles à prix cassés dans leur ventes.


En tout cas, aux yeux du public, le tour est joué, en annonçant une éligibilité à la certification platine 1 mois après la sortie. Éligibilité. Un mot important puisque basé uniquement sur les chiffres avancés par l’artiste et qui n’a pas encore été soumis aux contrôles de la RIAA. On ne sait donc pas sur quelle base cette éligibilité a été annoncée. Est-ce que les commandes hors-US qui seront annulées en octobre ont été prises en compte ? Théoriquement non, puisque, même si elles ont été faites sur son shop, les commandes hors-US ne seront pas éligibles pour la certification.


Le recompte de ventes par la RIAA se fera sans bruit et Utopia aura de toute façon sa certification, vu son nombre de streams.


C’est la communication gratuite qui était recherchée par l’équipe de Travis avec des “records” qui semblent aujourd’hui atteints de manière déloyale. Les fans européens déçus, utilisés à simple but mercantile pour booster les statistiques, auront eux le droit à une dernière surprise, pour quand même tenter de vider leur portefeuille. Seulement une semaine après ses annulations massives, de nouvelles versions sont annoncées, disponibles chez tous les vendeurs. Une pluie de versions alternatives avec des vinyles couleurs contenant cette fois la bonne tracklist et livrées avant Noël. L’album sera disponible chez nous à 33€, ce que de nombreuses personnes pourraient trouver correct.


fnac

C’est un biais cognitif appelé “l’ancrage”, en annonçant d’abord un vinyle au prix délirant de 50€, le prix en baisse semble plus acceptable, comme une occasion à saisir.


Inspirant déjà des imitateurs comme les vinyles à 10$ d’Offset sur son shop contre presque 60€ chez nous. Pire encore, French Montana, pour sa dernière mixtape Mac & Cheese 5, a aussi vendu des vinyles à 5$. Cette fois, ses fans n’ont pas reçu leur vinyles mais des faux avis de livraison pour compter les disques dans les ventes de 1ère semaine.


montana

5.000 ventes streaming, pour 45.000 ventes truquées en vinyle. L’équipe de French Montana est allée beaucoup plus loin avec ce qui ressemble à une fraude évidente. Dans ce cas, les commandes ont été finalement remboursées.


Est-ce que ce genre de coup marketing pour gonfler les statistiques sera encadré ? Sinon, va-t-il être reproduit régulièrement ?


L’univers du vinyle vaut bien plus qu’être traité comme du simple merch pour truquer les ventes.


Utopia est un mirage, un événement marketing, plus que musical, qui a vu une opportunité dans le retour à la mode du vinyle. Il est primordial de dénoncer les abus des équipes de Travis Scott et d’autres artistes plus inspirés par leur stratégie marketing que le contenu de leur musique. Pour son retour après la tragédie du Astrofest, Travis Scott n’a donc rien trouvé de mieux que jouer à la limite de la pratique commerciale trompeuse, prenant une nouvelle fois son public pour du bétail, pour booster ses statistiques de vente. 


Investissons donc plutôt dans des vinyles d’artistes qui ont un minimum de respect pour leur audimat. Comptez sur moi pour vous partager sur le compte les sorties des vinyles plus méritants. En attendant, n’hésitez pas à partager cette enquête si elle vous a plu !


Rédacteur : Victor

Affiche : @jelcstudio

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